Pour de nombreux étudiants en design de produits et industriel, le design inclusif est un territoire encore inexploré. Au printemps dernier, l’équipe d’idéaux a collaboré à un atelier dans le cadre du baccalauréat en design de produits à l'Université Laval, offrant aux étudiants une immersion directe dans ce sujet. Le projet consistait à concevoir un produit permettant d’améliorer l'accessibilité des transports publics à Québec en collaboration avec le Réseau de transport de la Capitale (RTC). Nous nous sommes entretenues avec des étudiants s’étant démarqués pour la qualité de leur projet afin d’en savoir plus sur leur vision du design inclusif.
Océane Mallette, Aryane Dufour, et Cyrille Saint-Laurent ont conçu ami, un dispositif simple visant à améliorer la stabilité des usagers et faciliter leurs manœuvres dans l’autobus. Leur objectif était de créer une aide à l’équilibre et à la préhension discrète et inclusive, adaptée aux déplacements en transport en commun. Le produit a comme impact significatif de réduire les insécurités des usagers en diminuant l’effort physique requis lors du transport.
Charles Lavallée, Nathan Laflamme et Arnaud Girard ont développé IRIS, un système de signaux lumineux intégré à l’autobus qui permet à l’usager de trouver une place assise libre en un clin d’oeil. À travers un travail de validation approfondi, ils ont développé une solution inclusive qui permet non-seulement de réduire le stress pouvant être vécu par les usagers, mais aussi de sensibiliser les autres passagers aux besoins de ceux et celles qui nécessitent des places assises.
Réactions initiales
Pour plusieurs étudiants, l'annonce de ce projet a suscité des sentiments mitigés. Certains ont ressenti de l’appréhension, craignant de ne pas avoir les compétences nécessaires pour aborder les besoins des personnes en situation de handicap. D'autres redoutaient de ne pas pouvoir faire preuve d'empathie suffisante pour comprendre véritablement les besoins des usagers concernés. Certains admettaient même une légère démotivation initiale, craignant que ce projet ne limite leur créativité. Accueillant tout de même le projet avec ouverture et curiosité, un autre étudiant a été surpris de découvrir cette branche du design par laquelle il n’aurait pas pensé se sentir aussi interpellé.
Découvertes
Plusieurs des étudiants ont entamé le projet avec des préconceptions sur la démarche du design inclusif. Ils ont entre autres été surpris par la facilité de la démarche. La formation offerte par l’équipe d’idéaux les a introduit à plusieurs notions telles que l’accessibilité et l’inclusion et les types de situation de handicaps. Ils ont découvert en la démarche inclusive une approche logique, holistique et actuelle qui les a mené à se demander : « Pourquoi on inclut pas ça dans tous nos projets? ».
Démarche sur le terrain
Les étudiants ont adopté une approche immersive pour comprendre les besoins des différents utilisateurs, notamment ceux avec des handicaps physiques ou sensoriels. Ils ont passé du temps sur le terrain, discutant avec des personnes aux limitations variées, comme une personne avec une limitation visuelle, pour saisir pleinement leur expérience. L’une des équipes, composée de Nathan, Arnaud et Charles, a même fabriqué des lunettes imitant cette limitation visuelle afin de se mettre dans la peau de l’usager! L’équipe a souligné les avantages d’intégrer les usagers dans les tests de leurs concepts. D’ailleurs les discussions avec des personnes en situation de handicap, organisées par le RTC, ont permis aux équipes de partir des émotions ressenties par les usagers comme point de départ. Cette immersion a renforcé l'idée que le design ne se limite pas à travailler avec la matière, comme l'a exprimé Charles : « On dit souvent que les designers, on travaille avec la matière. Mais moi je dirais qu’on travaille plus avec les gens, avec des humains. »
Impact de l’inclusion sur la démarche de design
Participer à un projet en design inclusif a permis aux étudiants d’élargir leur horizon. Arnaud a mentionné que la démarche inclusive a permis de s’attarder à des détails auxquels on ne réfléchit pas habituellement dans un processus de design traditionnel. Pour l’équipe d’Océane, l’inclusion s’est fait ressentir tout au long du projet: « D’abord ça a été d’être inclusifs entre nous, entre les collègues. De savoir ce qu’on est capables de faire. Après ça on a pu mieux organiser notre projet, identifier quelles tâches on s’attribue et après le produit a reflété comment on a travaillé dans l’inclusion, parce que c’était d’écouter, d’observer et prendre en compte chaque situation. Du début à la fin, c’était de penser à l’inclusion de toutes les personnes qui ont touché au projet. ».
Une nouvelle vision de l’inclusion
À la suite du projet , les étudiants ont vu se transformer leur perception du design inclusif. Ils ont pris conscience que ce type de design ne concerne pas seulement un groupe spécifique, mais qu'il s'applique à l'ensemble des usagers. Nathan mentionne: « Je pensais que le design inclusif c’était spécifique à un seul groupe de personnes, mais finalement c’est pour la majorité. je me suis rendu compte que tout le monde peut vivre des limitations de manière quotidienne ou occasionnelle. » Cette prise de conscience a renforcé leur empathie et leur compréhension des besoins divers. Charles a notamment souligné : « Pour moi, il y avait comme une ligne entre le design et le design inclusif, et j’ai l’impression que cette ligne s’est diffusée. Le design se doit d’être inclusif, c’est une partie intégrante du design pour notre ère contemporaine. » Pour Océane, : « Le principe du design inclusif fait partie du design, dans le sens de penser au plus grand nombre tout en pensant à l’inclusion de personnes en situation de handicap. Ma perception c’est que le design inclusif c’est dans toutes les sphères du design et que ça va rendre un projet plus complet dans son ensemble. Ceci va se refléter autant dans l’équipe de projet que dans le produit qui va découler du processus. Ça va de soit qu’il faut penser comme ça, en tant que designer. »
Les étudiants sont déjà déterminés à appliquer les principes du design inclusif dans leurs futurs projets. Charles reconnaît que l'industrie pourrait intégrer ces pratiques plus rapidement, mais il aspire à être cette personne, capable d'apporter des idées novatrices axées sur l'inclusion, même dans un environnement souvent centré sur la productivité et la rentabilité. Il exprime son ambition de « faire évoluer l’industrie » . Pour lui, chaque petite intervention peut avoir un grand impact, et il mentionne : « C’est comme si on avait un troisième oeil qui s’ouvrait. », bien que cela puisse parfois être frustrant de constater à quel point le monde n'est pas adapté. Nathan partage cette vision, affirmant que « juste le fait de considérer l’inclusion dans le processus de développement de produits va bonifier ton projet ». Il croit fermement que chaque équipe devrait intégrer une part d'inclusion pour enrichir son travail. Océane, de son côté, applique déjà ce principe à son travail en posant une seule petite question supplémentaire comme « qu’est-ce qui se passe si notre usager a cette limitation-là? ». Elle décrit cela comme « mettre les lunettes de l’inclusion ».
Un conseil de la part des étudiants
Pour conclure l’entrevue, nous avons demandé aux participants quel conseil ils donneraient à des designers réticents à intégrer l'inclusion dans leur démarche. Nathan encourage fortement d'aller de l'avant : « Go for it! Il ne faut pas avoir de craintes. La seule différence entre nous et les usagers c’est qu’ils vivent des situations qu’on ne vit pas. Il suffit de poser la question et de se mettre dans leur peau et on va juste en apprendre plus. Ça va juste te faire grandir. » Charles insiste sur l'importance de briser les préconceptions et les barrières pour ouvrir les yeux sur les différences et les problématiques que l'on ne vit pas soi-même. Océane, elle, souligne que cette approche te permet de « devenir un meilleur designer, avec plus d'empathie et une plus grande facilité à développer un produit ».
Nous tenons à féliciter les étudiants pour leurs projets ainsi qu’à les remercier pour leur vision enrichissante. Merci également à Éric Desforges et Christophe Desmeules-Robillard, chargé d’enseignement et chargé de cours à l’École de design de l’Université Laval, pour cette belle expérience, ainsi qu’à l’équipe du RTC.
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